dimanche 15 juin 2014

ORAL DE RATTRAPAGE (JUILLET 2024)


Le texte choisi pour le baccalauréat de juin-juillet 2024 est Ion de Platon.


Pour l'oral de rattrapage, vous avez 20 min. de préparation, 20 min. de passage. Vous faites un commentaire linéaire du passage choisi par le professeur. Pas besoin de plan, mais une introduction de l'extrait (situez l'extrait dans le contexte global du dialogue), lecture du passage, explication linéaire, puis conclusion. 
Essayez de tenir 10 minutes au moins, après quoi le professeur vous interrogera sur le passage. 
N'oubliez pas d'avoir le texte en double - l'un  pour vous, l'autre pour l'examinateur.
Bon courage à tous.

Références précises : 
-  Platon, Ion in Premiers Dialogues, éd. Garnier-Flammarion. Etude intégrale. Le texte est disponible en téléchargement libre, ici,  sur le site de Gallica (BNF). 

Commentaire de Ion

Voici donc le commentaire de Ion, comme annoncé. Le commentaire se fera sur plusieurs fichiers. Bon courage.


Commentaire de Ion
I – Ion, résumé du texte. Survol critique
Goethe n’a pas aimé ce texte : pour lui, il ne s’agit ici que de « persiflages » qui n’ont rien à voir avec la poésie. Quelle est la raison d’un jugement aussi sévère à l’endroit du texte de Platon ? Longtemps ce texte n’a d’ailleurs pas été attribué à Platon : contrairement à son habitude philosophique, Platon ne spécifie pas véritablement, dans Ion, l’objet de l’activité poétique. Ex : pas d’analyse de la mimesis poétique ici, pas plus que de considérations sur les effets éducatifs, politiques, voire anthropologiques de la poésie. La poésie dans Ion est vue simplement comme enthousiasmos (inspiration, possession divine). En ce sens, la poésie n’atteint pas à la dignité d’un art, d’une technè (compétence, savoir-faire), ce qui paraît étonnant eu égard à son étymologie : poiesis, poïeïn, le « faire ». Dans cette perspective, on a pu lire Ion sur le mode d’un dialogue mettant en scène une « théorie de l’interprétation » ou encore une des premières manifestations de l’activité critique. Ion définit certes la « rhapsodie » (voir plus loin la déf. précise du terme) mais encore une fois pas comme une activité technique. De la sorte, Ion est à réinscrire dans une problématique plus ample que la seule description de l’activité poétique, à savoir la distinction entre les arts et les savoirs véritables d’une part, et les arts et savoirs qui ne peuvent qu’y prétendre (problématique qui sera poussée à son point le plus aigu dans La République, cf . fin du commentaire) d’autre part. Le clivage est ici produit entre la poésie et la connaissance. D’un autre côté, pas nécessairement plus contingent, Ion possède un intérêt culturel indéniable en ce qu’il nous renseigne sur une pratique, la rhapsodie, qui avait cours dans l’Antiquité grecque et sur ses modalités plus spécifiquement « spectaculaires » et sociales (costumes, danses délirantes, place éminente de l’artiste dans la cité, etc.).
- Le mouvement du dialogue
Rencontre entre Ion, rhapsode originaire d’Ephèse, et Socrate. Socrate avoue son admiration pour le talent du rhapsode : sa connaissance des vers comme de la pensée du poète qu’il interprète. Ion, vaniteux, ne peut qu’être d’accord avec Socrate mais il ajoute, en faux modeste mais en analyste lucide, que son seul réel talent réside dans l’interprétation (toujours aux deux sens du terme : réciter et commenter) de Homère. Un exemple de la vanité de Ion, lorsqu’il décrit ses talents herméneutiques (interprétatifs au sens de : commenter, le mot « herméneutique » dérivant d’Hermès, messager des dieux mais aussi, censément, inventeur de l’écriture) : « (…) aucun homme qui ait jamais vu le jour n’a pu exprimer sur Homère des pensées aussi nombreuses et aussi belles que les miennes » (530 c-d). La rhapsodie, insistons-y, ne consiste pas dans le simple récitatif, dans la répétition d’un texte, répétition spectacularisée par la parure éclatante du rhapsode et son délire bacchique (les bacchanales désignent des fêtes données en l’honneur de Bacchus- Dionysos, dieu de l’ivresse par excellence, qui tournent à l’orgie et célèbrent à leurs manières toutes les formes de dépossession liées aux mystères de l’incarnation), elle consiste bien plus essentiellement, selon Ion, dans l’art des belles et nombreuses interprétations analytiques ou herméneutiques – si l’on ose le pléonasme – de l’œuvre. La fameuse ironie socratique va pouvoir se déployer sous le couvert d’une apparente modestie, en réponse aux prétentions démesurées de Ion. En 530d, le dialogue est lancé. Quelle est la nature du talent de Ion, ce talent (qui n’est pas encore conçu comme une compétence, un savoir-faire, une technè, c’est justement le pb qui se pose en l’occurrence) peut-il convenir à l’interprétation de tout auteur ou se limite-t-il à Homère ? La difficulté est cernée au plus près par Socrate : comment se fait-il que, les poètes ayant tous composé sur des sujets à peu près similaires, le rhapsode ne soit « le meilleur », c’est-à-dire le plus compétent, que sur un poète donné – dans le cas de Ion, sur Homère - ? Réponse possible, la composition diffère. Le spécialiste (technitès) de tel domaine saura mieux reconnaître que quiconque si telle autre personne parle adéquatement du domaine en question : le médecin sera le plus apte à repérer celui qui parle le mieux de la santé, etc . Le problème demeure de savoir, en ce qui concerne Ion, en quoi Homère compose mieux que les autres poètes dans la mesure où, comme déjà dit, les poètes œuvrent sur les mêmes sujets (la création du monde, les guerres entre les hommes, l’amour, la mort, le rapport des hommes et des dieux…). A ce moment, le lecteur un tant soit peu attentif, plus que les personnages du dialogue, peut observer la manière dont l’objet littéraire en général peine à être appréhendé, apprécié pour lui-même, puisque l’œuvre littéraire ne se singularise pas par son sujet (ou son objet, c’est la même chose ici). A cet égard, Ion est déconcerté par le caractère fugitif de la « compétence » littéraire : il ne parvient pas à expliquer pourquoi il « préfère » Homère (532 b-c). Il manque un critère objectif du choix qui est fait, par Ion, de l’œuvre de Homère comme objet exclusif de sa compétence rhapsodique. La poésie se limite-t-elle à une pure affaire de goût, au sens péjoratif du terme, soit à une contingence extrême dans l’appréciation critique ? Socrate tranche assez brutalement le problème : le rapport herméneutique de Ion à Homère ne relève pas d’un art (d’une technè, d’une compétence) ni d’une science (d’un savoir assuré dans ses fondements). Socrate n’ignore pas la brutalité de sa thèse mais avance masqué, sous le couvert, lui aussi, d’une modestie feinte : « Quant à moi, je ne dis que des vérités vraies, comme c’est naturel chez un homme dépourvu de toute compétence particulière » (532 c-e) : cf. déf. de la maïeutique (cf. cours sur l’étonnement) et parallèle à observer entre l’absence de compétence de Socrate (qui renvoie à la sagesse : je sais que je ne sais rien, cf. cours sur l’étonnement) et celle de Ion (absence de compétence qui renvoie quant à elle à une forme de folie, soit le contraire de la sagesse, puisque la sagesse se définit en partie par la maîtrise de soi, et ce même si Socrate est lui-même aiguillonné par son « daïmon » intérieur, cf. Apologie de Socrate). Ici Socrate marque le caractère répétitif de sa propre compétence, ou de sa propre absence de compétence : c’est toujours le même type d’enquête qui s’impose dans l’analyse de la spécificité d’un art, d’une technè. S’ensuit une série d’exemples ayant pour objet des arts aussi divers que la peinture, la sculpture, la musique, et Socrate d’affirmer qu’une personne qui a la compétence de faire la critique précise de telle œuvre d’art a apparemment la même compétence pour les autres œuvres du même domaine artistique. La capacité critique, herméneutique, ne saurait donc être restreinte aux œuvres d’un seul et même artiste. Malgré une telle « évidence », Ion reconnaît, à son grand désarroi, n’être bon interprète, herméneute, que d’Homère. Il s’agit alors de prendre en compte l’existence de ce talent hautement singulier – un talent qui ne vaut pas pour un domaine d’objets mais pour un unique objet, l’œuvre d’Homère – et d’en proposer une explication, ce à quoi Socrate va s’atteler.
Suite sur le document suivant.

Ion - suite

Nous en étions arrivés à la citation: "Non, c'est une puissance divine qui te met en mouvement, comme cela se produit dans la pierre qu'Euripide a nommée Magnétis, et que la plupart des gens appellent Héraclée" (533d). L'aimant a de fait le pouvoir de magnétiser les autres pierres qui deviendront à leur tour aimants jusqu'à constituer une "chaîne d'anneaux de fer" (ibid.).
Nous en sommes à la thèse centrale du texte : le poète est inspiré des dieux, et transmet ce souffle aux autres hommes pour constituer une chaîne allant de l'humain au divin. Cet argument est à double tranchant : "En effet, tous les poètes ( ... ) ne sont pas tels par l'effort d'un art, mais c'est inspirés par le dieu et possédés par lui qu'ils profèrent tous ces beaux poèmes" (533d-534a). La poésie apparaît ainsi comme démission de la raison, de la maîtrise de soi ("transports bacchiques", 534a. Cf. République: où le poète est chassé de la cité). La poésie est une espèce de folie divine inspirée (Phèdre. 253a). Les poètes avouent cette folie : "Là ( je souligne), ils disent la vérité" (534 a-b). Le poète ne dit donc pas la vérité, ce n'est pas là son but. "Car c'est chose légère que le poète, ailée, sacrée ; il n'est pas en état de composer avant de se sentir inspiré par le dieu, d'avoir perdu la raison et d'être dépossédé de l'intelligence qui est en lui" (ibid.).
La poésie n'est pas affaire d'intelligence. Cette scission poésie/connaissance est d'une importance considérable eu égard aux présocratiques par exemple : Parménide (chercher sa biographie) compose en vers son Poème et unit dans le même mouvement la pensée et le poème. La philosophie est à l'époque intimement liée au discours sacré, et comme telle elle communique naturellement dans l'élément du poème : à proprement parler, la philosophie n'est pas encore elle-même tant qu'elle passe par le biais de la parole poétique, si l'on considère que la philosophie cherche la vérité et par là désacralise le cosmos (cf. cours sur l'étonnement, rappel de l'inscription gravée au fronton de l'Académie de Platon, etc.). Pour autant, on remarquera la modernité du discours socratique : la poésie comme dépossession de soi est une expérience vécue par nombre de grands écrivains du 20ème siècle par ex : Kafka décrit par le menu dans son Journal intime comment la littérature le vide de lui-même, l'exproprie, c'est-à-dire le désexualise, l'arrache au monde quotidien, à tel point que l'écriture du Journal intime n'est plus pour lui le moyen de se retrouver seul avec soi-même, mais bien au contraire, par le souci du détail quotidien, du fait anodin, l'écrivain praguois essaie de renouer avec la communauté des hommes. Par la littérature, l'écrivain n'est plus un Je conquérant, une conscience pleine d'elle-même, mais une espèce de caisse de résonance pour une parole qui le dépasse, qui se parle à travers lui. Du Je qu'il était comme tout homme, l'écrivain tombe dans la neutralité du Il, selon Maurice Blanchot dans L'espace littéraire. Là est une des compréhensions de la fameuse maxime de Rimbaud dans les Lettres du voyant : "Je est un autre". Cet autre c'est l'"interminable, l'incessant" (Blanchot, Ibid.) de la parole littéraire qui fait de l'écrivain l'antithèse du technicien (et la poésie, répète Socrate, n'est pas une technè) ou de l'homme de science, technicien et homme de science qui sont des figures de la maîtrise. On pourrait aussi proposer une interprétation psychanalytique de la thèse de Socrate : en l'occurrence, ce ne serait plus le dieu, la déesse, ou la Muse, qui inspirerait l'artiste, ou le rhapsode, mais leur inconscient, manière de ramener l'inspiration sur Terre et de réfuter toute forme de transcendance pour expliquer l'incompréhensible pouvoir de vérité de l'inspiration artistique. On pourrait cependant concevoir la transcendance comme intérieure à l'homme (qui ne connaît pas, au sens précis du terme, son propre inconscient, lequel lui reste donc, en quelque sorte, extérieur). Cf. Freud dans le cours sur la conscience.
On a en l'occurrence l'explication de la "spécialisation" étonnante, incompréhensible pour lui­-même, de Ion : chaque poète est conduit dans telle voie (ou telle voix) par la Muse, dans le cas contraire il est médiocre car non inspiré véritablement - hésitant à trouver sa voie/voix. La poésie, encore une fois, n'est pas un art - une technè - car l'art (au sens grec toujours) ne peut être aussi spécialisé, réduit à un domaine, que la pratique de Ion. Le cordonnier ne fabrique pas qu'une seule sorte de chaussures, le médecin ne guérit pas qu'une maladie, etc. alors que Ion ne peut réciter qu'Homère. Et la question de Socrate est légitime : que fait donc Ion, s'il n'est ni un homme qui connaît, ni un homme qui fait ? Qu'est-ce qui n'est ni de la connaissance pure ni de l'art ? Réponse : la poésie, qui est "enthousiasme" - littéralement: endieusement, possession par un dieu. Le poète n'est donc pas un homme de compétence, et c'est pourquoi Platon ne l'acceptera pas dans sa République. Il est plutôt un oracle (534b-d), la voix même du dieu : "Les poètes ne sont rien que les interprètes des dieux, et chacun d'eux est possédé par un dieu qui s'empare de lui" (534d-535a).
Le pb pour Ion est qu'il n'est même pas lui-même un poète, il n'est que l'interprète d'un poète, "interprète d'un interprète", il est donc éloigné au troisième degré de la vérité de la parole divine (cf. les trois degrés de vérité in Rép., Livre VII, cf. cours sur l'étonnement). Socrate à Ion : ne te sens-tu pas "hors de toi" (535 b-d), c'est-à-dire en extase, à réciter Homère ? Réponse positive de Ion : le chant suscite en lui-même peur et compassion (à comparer avec la catharsis d'Aristote, in Poétique). Un tel déferlement d'émotions contradictoires ne peut être le fait d'un homme bien portant, mais d'un homme qui a perdu la raison.
Quant à la suite d'anneaux magnétiques dont nous parlions au-dessus, elle a pour centre le rhapsode qui fait de la sorte le lien entre les spectateurs-auditeurs et le dieu (parallèle à faire avec Eros dans le Banquet de Platon, à chercher). Et à nouveau, la thèse de Socrate est que le rhapsode, le poète, sont inspirés par une et une seule Muse, Ion étant un "possédé d'Homère" (536b-d) et Homère étant élevé par là à la dignité quasi divine d'inspirateur (plus encore que d'inspiré) ou d'enthousiasmant (au sens étymologique du terme). De fait, Ion prétend parler si bien d'Homère qu'il peut traiter de tous les sujets que celui-ci aborde. Ion en fait la démonstration : il rappelle le passage où Homère parle de l'art du cocher (p. 110) ... A chaque art correspond une faculté de connaître qui ne s'applique pas aux autres arts : le cocher connaît l'art de gouverner le cheval et peut juger du passage homérique concernant la conduite des chevaux, mais il ne pourra s'exprimer sur l'art du médecin, etc. Les sciences (les savoirs, les épistémè) se distinguent ainsi par leur objet d'application, il n'y a pas une science applicable à une multiplicité d'objets de domaines différents, mais une multiplicité de sciences ayant pour chacune un domaine de compétence et de validité vérifiables. Ce qui implique, si nous suivons Socrate, que le cocher sait mieux que Ion, que le rhapsode en général, ce que vaut le passage homérique sur l'art de gouverner les chevaux. Et ainsi de suite pour les autres arts abordés chez Homère.
Ion est alors acculé à une interrogation embarrassante : quel serait le passage homérique le plus propre à la rhapsodie, où la rhapsodie aurait son mot à dire comme toutes les sciences ? Ion ne peut se trouver un objet de compétence, un domaine du savoir où il soit expert. Et son embarras est tel qu'il renonce pour ainsi dire à son talent en prétendant être un bon stratège. Mais la stratégie n'est pas la rhapsodie, elle ne nous dit rien de la rhapsodie, même si Ion défend l'idée que rhapsodie et stratégie doivent être mises sur un pied d'égalité. Ce qui embarrasse Ion est le clivage mis au jour par Socrate entre poésie et connaissance, qui réduit le rhapsode et le poète à parler mieux que quiconque de ce qu'ils ne connaissent pas: Homère parle encore mieux que le cocher de l'art de gouverner les chevaux, mais il ne le sait pas ...
Lire l’avant-dernière tirade de Socrate.

Ion - commentaire plus poussé

Dans cet extrait, je fais un commentaire rapide de Ion, commentaire parfois ardu, mais plus poussé que celui que je vous ai proposé ci-dessus. Retenez-en ce qui peut vous être utile. Le reste est sans importance.

L’inspiration comme enthousiasme
(une lecture de Ion de Platon)

Platon écrivit le premier traité occidental sur l’inspiration artistique, au demeurant l’un des seuls traités sur l’origine du talent poétique, traité qui eut une influence certaine sur la compréhension du geste poétique par les poètes eux-mêmes, et forme encore comme le soubassement du lieu commun concernant l’inspiration. Donnons les enjeux de ce dialogue souvent qualifié de « jeunesse » par les commentateurs. Socrate rencontre Ion retour « d’Epidaure et des fêtes d’Asclépios ». Ion est un rhapsode ; profession qui, étymologiquement, consiste à « coudre » des chants, et plus largement à se produire en spectacle comme un récitant, un acteur, mais aussi, au sens fort, comme un interprète, un herméneus. Socrate nous confirme : « Le rhapsode doit être en effet l’interprète de la pensée du poète auprès des auditeurs ». Plus prosaïquement, Ion est un homme vaniteux, persuadé d’être le plus éminent des interprètes d’Homère, mais reconnaissant qu’il n’a de talent que dans la rhapsodie homérique. Ion ne saisit pas, d’ailleurs, les raisons de ce talent exclusif : « Mais alors, Socrate, comment expliquer que, lorsqu’on discute de quelque autre poète, je n’y prête pas attention, et je suis incapable de dire quoi que ce soit d’intéressant ; je sommeille tout bonnement. Mais que quelqu’un mentionne Homère et me voilà aussitôt éveillé et attentif, avec une foule de choses à dire ». La réponse de Socrate est immédiate tant elle ressortit à la pure évidence pour le philosophe : le talent de Ion n’est pas justiciable d’une technè ou d’une épistémè (savoir) déterminées ; si tel n’était pas le cas, comment expliquer que Ion ne puisse interpréter Hésiode par exemple, ou tout autre poète ? Une technè définit une compétence donnée qui s’applique à une classe d’objets en sorte que l’herméneuïa (interprétation) se ramenant à une technè le rhapsode devrait être un bon technitès de la poésie en général au lieu de se voir limité en compétence au seul Homère, objet singulier s’il en est. Marsile Ficin, dans sa lecture de Ion, abonde dans le sens de cette explication : « Ce ne peut être l’effet de l’art : celui qui a la pleine maîtrise d’un art peut juger de tout ce qui relève de son art (...) ». Jean-François Pradeau, à son tour, donne le commentaire de ce passage primordial : « Aux yeux du philosophe, la technique est une activité, relative à un objet précis qui lui donne son nom, dont la particularité est de pouvoir se répéter et s’enseigner, selon des modalités rationnellement réglées. Stable et itérative, elle suppose à la fois une connaissance de son objet et une connaissance des moyens nécessaires à la fabrication ou à l’usage de celui-ci ». Qu’est donc l’aptitude de Ion si elle n’est une technè ni une épistémè ? Revenons à la ré
ponse de Socrate : c’est une « puissance divine », une entheon, une inspiration divine, un enthousiasme, un endieusement, qui saisit Ion, et le fait entrer en transe. Le rhapsode devient, le temps sacré de l’interprétation, un anneau dans la chaîne magnétique où chaque anneau communique aux autres une puissance qui n’est pas la sienne propre, ne lui appartient pas essentiellement. Le rhapsode, le poète lui-même, ne se maîtrisent donc pas de cette maîtrise, première maîtrise, indispensable à la maîtrise d’une technè : la maîtrise de soi, la possession de soi. Ils ont perdu la raison, ils dansent tels des Corybantes ou dans l’ivresse de bacchanales imaginaires. Mais c’est cette perte de soi dans la frénésie de la danse inspirée qui prélude à la composition du poème ou à sa juste récitation : « Tant qu’un homme reste en possession de son intellect, il est parfaitement incapable de faire œuvre poétique et de chanter des oracles ». Cette dépossession de soi, cette démission de la raison, ce faire qui ne se ressaisit pas dans la technè, sont le signe d’une theïa moïra, d’une faveur divine, qui s’exerce selon un canal spécifique : la Muse ou le dieu oriente l’interprète dans une voie/x singulière, l’interprète ne donne résonance qu’à une voix, celle-là même du proférateur divin. Inspiré des dieux, le poète occupe un lieu contigu à ceux du devin et du prophète. Quant à la technè, elle regarde si peu la poésie que le plus mauvais poète est capable du plus sublime péan, comme l’illustre le cas célèbre de Tynnichos de Chalcis. Le poème n’est pas œuvre humaine mais « œuvre des dieux », ce sont les dieux qui font la force attractive de la chaîne qui court du poète, du rhapsode, à l’auditoire, ce sont les dieux, souverains inspirateurs, qui magnétisent, telle la pierre d’Héraclée, les anneaux de la communauté humaine rassemblée dans le logos, ce sont eux qui confèrent l’unité à cette communauté. Socrate résume ainsi son argument :
Ce n’est donc pas en vertu d’une technique ou d’une science relative à Homère que tu t’exprimes comme tu le fais, mais en vertu d’une faveur divine ou d’une possession ; il en va comme pour les gens pris du délire des Corybantes, qui ne perçoivent avec acuité que ce seul chant, celui du dieu qui les possède, et qui n’ont aucune difficulté à trouver les gestes et les mots qui accompagnent ce chant, sans se soucier des autres.
La fin du dialogue résonne assez sèchement, malgré l’apparent compliment, pour que nous soyons tentés d’examiner à nouveau, mais nous ne le ferons pas ici, la triste condition réservée au poète dans La République : « Eh bien, Ion, nous te conférons cette beauté d’être divin, et non pas technicien, lorsque tu fais l’éloge d’Homère ». Entre-temps, Ion n’a pas craint le ridicule lorsqu’il s’est mis en quête d’une technè ou d’une épistémè à revendiquer pour sauver la rhapsodie des attaques à peine retenues d’un Socrate soucieux de vider le faire poétique de toute efficience réelle.
Il est difficile, comme nous le disions, de lire Ion sans penser constamment à La République qui prône le bannissement du poète et ne se prive pas d’arguments ad hominem à l’encontre d’Homère lui-même. Néanmoins une lecture au premier degré pour ainsi dire, naïve mais informée, reste possible et légitime ; c’est cette lecture que nous propose notamment Ficin qui aperçoit dans le poète enthousiaste, animé du Furor divinus, l’être qui opère la conversion de l’homme dans les premiers moments de sa réunification intérieure : notre âme a chu de l’Un dans le multiple discordant, le poète, théâtre du délire divin, va, par la « musique », la sujétion à la Muse, réveiller notre âme fortement assoupie, apaiser son trouble, et l’orienter enfin vers l’unité suressentielle, c’est-à-dire, paradoxalement, vers la raison, étape inaugurale du cheminement vers la vision béatifique.
Dans une formule un peu provocatrice, Jean-Luc Nancy fait de Ion « le premier traité du magnétisme » en rappelant les modalités de construction de la communauté humaine autour du poète et du divin. Ce qui importe dans l’argument platonicien, selon le philosophe français, c’est le caractère de transitivité dont est affectée cette chaîne communautaire : « (...) le rhapsode incarne en somme la transitivité même, voire le transit de l’enthousiasme, le passage de la communication, qu’il faut entendre à la fois au sens de la communication magnétique et au sens de la communication du logos divin ». Le magnétisme sert en l’occurrence à caractériser l’essentielle transitivité de l’enthousiasme bien plus qu’à invoquer le mystère de son origine divine. Cette transitivité doit être pensée jusqu’à sa limite : les anneaux de la chaîne magnétique, les êtres par lesquels l’influx se distribue, organisent les lieux où spontanéité et réceptivité se confondent, s’échangent, s’équivalent, nul ne produit la parole poétique, nul ne se contente de la recevoir sans y participer, ne serait-ce que dans la motion de l’émotion, son mouvement, ou la vision de ce que l’hermeneuïa dévoile. Cette confusion, cette brusque ondulation des repères de l’activité, le commentateur la comprend comme l’effusion de la finitude telle qu’en elle-même dans chacun des membres de la communauté poétique - ou logique - et au premier chef dans le poète. En somme, sa transitivité absolue empêche la parole poétique de devenir la propriété de quiconque et désubstantialise plus largement toute instance de propriété : « Ce n’est pas en propre que le poète est poète, c’est dans la mesure, elle-même sans mesure, d’une dépossession et d’une dépropriation » (J.-L. Nancy). Cette dépropriation fera paradoxalement la tonalité singulière du poète, nous l’avons vu, mais il faut aller plus loin : il n’y aura singularité de la voix que dans la mesure inverse, la démesure, d’une sembable dépropriation : « Il n’y a pas de poésie générale (...) Il n’y a que des voix singulières, contrastées, et l’enthousiasme est avant tout l’entrée dans une telle singularité », la poésie nous enseignant que la singularité ne se conquiert pas d’autorité, soit par le conatus aveugle du je, mais bien au contraire par sa révocation, et que la theïa moïra ne renvoie pas qu’à la faveur divine mais aussi et surtout au partage divin : « Le divin, c’est ce qui se donne, ce qui se partage en voix et en hermeneuïa. Le divin est essentiellement partagé, donné, communiqué et partagé : c’est ce que signifie l’“ enthousiasme ” » (Nancy).
Dans notre dialogue, Platon établit une ferme distinction entre l’inspiration et le travail de la forme : le poète n’est pas l’homme du faire ou alors il faut suivre Jean-Luc Nancy dans son dé-nommer, pour qui poïeïn ne signifie plus, dans le contexte de Ion, le faire auquel il est habituellement associé. Le poète est défait par un faire dont il ne constitue pas l’origine, dont il n’est pas le sujet. L’inspiration, son mode d’opération, laisse entendre que le sujet ne se limite désormais qu’à un point retardataire du parcours du logos. L’inspiration, de fait, met au jour une origine prétendue de la parole poétique ou littéraire, si ce n’est prophétique ou mantique, elle ne renonce pas à l’originalité, elle déporte seulement l’origine et la fait se précéder dans l’archi-subjectivité du dieu. Certes, l’inspiration fait vaciller la maîtrise de soi qui incombe au sujet, sujet débordé par le travail incessant du logos, son antécédence et sa postérité, mais elle réinstalle ailleurs cette maîtrise, elle la pose à nouveau dans la maîtrise suréminente du divin proférateur. Si le poète est possédé, c’est-à-dire dépossédé de soi, enthousiaste, c’est qu’il se ressaisit sinon en fait, au moins en droit, dans la maîtrise accomplie du Sujet divin qui profère et a assez de consistance subjective pour user du plus mauvais poète dans la production du plus sublime, du plus divin péan. L’inspiration poétique avoue dans un tel enthousiasme l’ap-propriation qui est sa tâche, le motif de son effort. La preuve de la survivance du sujet à travers la défaillance ou la mort du sujet, la preuve d’une telle ré-surrection, nous la trouvons dans l’immédiate situation - au sens actif ou processuel du terme - du dire ou de la parole dans un genre - le dithyrambe, l’éloge, l’iambe... - favorisée par la theïa moira. Le poète exprime bien une parole qui a sa raison propre même si le poète a perdu la raison, une parole qui se conquiert et se rassemble dans l’unité d’un genre, d’une forme préétablie. Aussi est-ce à bon droit que Ficin aperçoit dans le délire poétique non le délire de l’imagination éloignant l’homme de Dieu dans la discordance et la pulvérulence de la matière multiple mais au contraire l’ébauche d’un travail d’unification de l’être-humain, c’est-à-dire de subjectivation, en vue de la contemplation de la gloire divine. Ion ne se débarrasse pas de l’ambition de l’unité close, de la vérification de l’inspiration folle auprès de la sereine maîtrise du dieu : nous l’écrivions, le poète se précède dans son inspirateur, il s’y devance. Cette subjectivité en amont, cet être-sujet qui se préétablit quitte à jouer par la suite la pantomime du tremblement, de l’inconsistance, à jouer les Corybantes, nous pouvons l’inscrire dans l’ethos de la pensée grecque. Gilles Deleuze a brossé une esquisse fulgurante de cet ethos, pour en prendre le contre-pied, dans Proust et les signes au chapitre précisément intitulé Antilogos :
Le monde grec ne s’exprime pas seulement dans le Logos comme belle totalité, mais dans des fragments et lambeaux comme objets d’aphorismes, dans des symboles comme moitiés décollées, dans les signes des oracles et le délire des devins. Mais l’âme grecque a toujours eu l’impression que les signes, muet langage des choses, étaient un système mutilé, variable et trompeur, débris d’un Logos qui devaient être restaurés dans une dialectique, réconciliés par une philia, harmonisés par une sophia, gouvernés par une Intelligence qui devance (...) Aux signes de feu qui annoncent la victoire à Clytemnestre, langage menteur et fragmentaire bon pour les femmes, le coryphée oppose un autre langage, le Logos du messager qui rassemble Tout en Un dans la juste mesure, bonheur et vérité.
Le monde grec dessine l’irrésistible précellence du Tout par rapport à la partie, l’exigence de récollection du Tout lorsqu’il se brise par accident en fragments, l’appel du fragment au fragment dans la congruence du symbole. Le poète, l’enthousiaste, l’inspiré, ne s’arrache donc jamais à l’Un qui se recompose au-dessus et au-dessous de lui, il n’est lui-même qu’à se parfaire dans l’union symbolique du dieu et de l’homme, spectacle communautaire. Il ne s’échappe de lui-même qu’au plan de la technè matérielle si l’on peut dire, mais cette technè ne lui est pas refusée complètement, elle lui est accordée au niveau idéal de la communauté symbolique avec le dieu. Autrement dit, l’inspiration au sens grec du terme - et ce sens gouverne assurément la conception commune de l’inspiration - n’est désubjectivante qu’en apparence, malgré la dépropriation terrestre du poète, sa danse délirante, elle pose le Tout ou l’Un total dans ses deux moitiés symboliques, le divin, le terrestre, moitiés qui s’aimantent de toute éternité, se sous-entendent, sont facticement deux mais Un dans l’essence. En l’occurrence, le poète se prête à la perte de soi, il ne s’y livre pas.

lundi 15 juin 2009

quelques rappels sur l'histoire

- se rappeler que l'histoire en tant que discipline, malgré d'antiques précurseurs, apparaît vraiment au XIXème siècle, et pas par hasard à cette époque : l'histoire suppose une certaine notion de progrès humain et en tous les cas un rapport au temps spécifique : les Grecs de l'Antiquité appréhendent le temps comme un cycle et une usure perpétuels qui s'accommodent mal de cette linéarité que suppose la dimension historique. Le XIXème siècle est aussi le siècle du positivisme (déf. à aller chercher), de la croyance à la toute-puissance du savoir et de la raison humains.
- se rappeler que nous avons traité de l'histoire avec Marx, cf. pour les Tl notion de matérialisme historique à opposer à la conception dite "idéaliste" de l'histoire selon Hegel. Dans ce contexte, se rappeler que l'histoire est, pour Marx, une construction idéologique de la classe dominante, et une auto-légitimation de cette domination sous le couvert du caractère scientifique de la discipline - le concept d'"universalité" porte l'empreinte de la domination bourgeoise selon Marx.
- se rappeler justement ce qui a été dit de l'histoire avec Hegel : la réalisation de l'histoire comme auto-transparence de l'Esprit ou travail de conscience de soi de Dieu à travers des civilisations successives, avec la "ruse de la raison" notamment et avec pour fin l'accomplissement de la liberté humaine.
- quelques rappels à intégrer de la conception nietzschéenne de l'histoire, dans Seconde considération inactuelle par exemple : il y a un degré d'insomnie historique qui empêche l'être vivant de se développer normalement, "être vivant" renvoyant en l'occurrence non seulement à l'individu mais à la culture elle-même. Autrement dit, selon Nietzsche, nous souffrons d'une trop grande pesanteur du souvenir historique, il faut être capable d'oubli, de ce même oubli dont fait preuve le "grand homme" (à opposer à celui de Hegel) quand il agit sur l'histoire, loin de se référer à un passé conçu sur le seul mode de la connaissance. Pour Nietzsche contrairement à Hegel, le fondement du phénomène historique n'est pas la connaissance mais la vie avec ce qu'elle suppose de passion et surtout de critères qui ne sont pas ceux de la connaissane ni de la morale commune. La vie est à elle-même son propre critère, elle constitue sa propre auto-évaluation, et notre rapport à l'histoire se doit de ne se référer qu'à elle, au respect de son expansion, pour être un rapport adéquat. Nieztsche s'oppose donc ici à une approche de l'histoire qui ne se décline que sur le point de vue de l'historien, de la connaissance : il peut être utile de condamner le passé, de le vouer à l'oubli, pour les besoins de la vie, ou de l'action future.
Chez Nietzsche, aussi, cette idée, reprise par Foucault, notamment, d'une "généalogie" à opposer à l'histoire officielle : la généalogie repérerait ce qui se cache sous la version officielle des faits - qui tend tjs à faire le récit des puissants, des riches, à explorer les domaines de culture "nobles", etc. - pour expliquer justement l'avènement de cette histoire officielle, la désamorcer, donner la voix à ce(ux) qu'on n'entend jamais, ex. à prendre du côté de Foucault avec ses ouvrages sur la folie, l'apparition du système pénitentiaire, l'histoire de la sexualité, etc.
- rappels de quelques idées du philosophe italien contemporain Gianni Vattimo dans La Société transparente : Gianni Vattimo dit que l'idée d'histoire universelle de Hegel peut aujourd'hui être réalisée par le moyen des mass-media (journaux, émissions télévisées, etc.) qui peuvent aller instantanément là et partout où se fait l'histoire, mais, justement, cette multiplication des points de vue sur le réel aboutit à l'explosion de la notion même de point de vue : pour être capable de faire l'histoire, il faut posséder un point de vue déterminé sur les événements, les acteurs de ces événements, etc. ; avec la multiplication des moyens d'information l'idée même d'une réalité devient problématique, et la nécessité de repérer une ligne d'événéments, ce qui est important (historique), ce qui ne l'est pas, devient difficile pour qui voudrait tenter l'histoire récente de nos sociétés même si subsistent quelques événements dont l'importance historique ne fait pas de doute (chute du mur de Berlin, 11 septembre...), encore cette importance doit-elle être précisément évaluée.
- idées intéressantes enfin de Paul Veyne, historien contemporain, dans Comment on écrit l'histoire. L'histoire n'est pas une science dure, une science exacte, elle est rangée dans les sciences humaines (dites "molles"), car elle n'a pas pour but de mettre au jour des lois invariables, des répétitions ou des conjonctions nécessaires de faits, ce qui est logique, puisque, par définition, elle a pour enjeu de comprendre l'action de sujets humains libres. L'histoire est cette discipline qui travaille davantage sur le possible : autour de chaque action historique, il y a d'autres possibilités que l'action en question eût pu emprunter mais qu'elle n'a pas empruntées en définitive, possibilités qui renvoient à cette liberté du sujet humain jamais complètement prévisible. Aussi l'histoire s'approche-t-elle davantage du récit que de la théorie scientifique, elle répertorie des traces, des documents, sachant que l'événement ne peut jamais être totalement reconstituté même par l'un de ses acteurs (cf. le célèbre début de La Chartreuse de Parme de Stendhal où Fabrice del Dongo, acteur de Waterloo ne comprend rien à la bataille qui se déroule sous ses yeux) : l'événement historique est une idée-limite qui ne peut qu'être approchée par les traces (témoignages, documents, ...), jamais atteinte. Et donc rechercher les causes d'un événement en histoire ne signifie pas la même chose qu'en science : la cause, en histoire, ce sont les épisodes qui entourent le moment de surgissement de l'événement. Dans ce contexte, la notion même de "philosophie de l'histoire" est problématique aux yeux de P. Veyne : l'histoire est comparable à la vision que nous avons d'une grande de ville depuis un hublot d'avion - une multitude grouillante d'événements singuliers qui ne peut jamais être recoupée dans une vision globale et précise à la fois. Il n'y a que des vues partielles sur l'histoire et selon des domaines particuliers, des "histoires de... " : histoire de la paysannerie au Moyen-Age, histoire du sport à la fin du 20ème siècle, histoire du droit pendant la Rome antique, etc.

Consultez les archives de ce blog, vous y trouverez une méthodologie que je viens de modifier, et d'autres aperçus, notamment sur l'histoire.

samedi 17 mai 2008

Cours de philosophie de l'année - III

Période du 7 janvier au 8 février

Cours sur le travail : le travail rend-il heureux ?

- Introduction, problématisation (cf. Genèse, changement de la valorisation du travail : antiquité / époque moderne, etc.).
- Présentation du protestantisme, avant lecture de L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme de Max Weber. Le travail comme Beruf, vocation - inspiration de l’esprit du capitalisme par conception et survalorisation du travail dans le cadre d’une hygiène d’existence ascétique.
- Le travail libérateur chez Hegel (dialectique du maître et de l’esclave in Phénoménologie de l’Esprit) : l’opération de la conscience de soi comme reconnaissance face à autrui et transformation de la matière.
- Le travail aliénant comme bouleversement de l’essence même du travail à partir de la division du travail (commentaire détaillé d’un texte de Marx extrait de l’Ebauche d’une critique de l’économie politique).
- La division travail / œuvre (Hannah Arendt, Le Travail in Condition de l’homme moderne) :
- le travail comme production d’objets périssables, consommables, l’œuvre comme production de repères durables, installation d’un monde.
- Au-delà du travail ? Critique du travail par lecture du Manifeste contre le travail du collectif Krisis : réfutation de l’idole travail, pensée d’une possible société sans travail.

Conclusion du cours sur le travail.`

Période du 25 février au 4 avril

Cours sur la science : La science : compréhension ou domination (utilisation) de la nature? Spéculation ou technique?

- Introduction, problématisation
- La conception commune de la méthode scientifique : l’induction (origine avec précurseurs comme Newton, Galilée, etc.), à partir de Qu’est-ce que la science? d’Alan Chalmers
- Déficience de la conception inductiviste (la probabilité, le rapport théorie-observation)
- La falsifiabilité comme critère de scientificité d’une théorie, le progrès en science (à partir de Popper, mais aussi Feyerabend, Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance, pour problématisation du concept de progrès)
- La science et la pensée technique
- la nature écrite en langage mathématique, de Galilée, hypothèse revue, critiquée par Husserl dans la Krisis
- la science ne pense pas : sentence de Heidegger, explication (divorce philosophie - science à partir de la question de l’essence)
- la notion de technoscience

Conclusion du cours sur la science

Cours sur la perception : percevoir est-ce juger ?

- Introduction, problématisation
- La perception comme construction biologique et culturelle
- l’Umwelt chez Jakob von Uexküll (Mondes animaux et monde humain)
- la proxémie de Edward T. Hall, La Dimension cachée : l’espace chez le Japonais, l’Arabe, l’Européen, etc.
- La perception comme construction intellectuelle : Descartes et la Méditation II, le morceau de cire.
- La perception structurée par le besoin et catégories langagières : Bergson, Le Rire, L’Energie spirituelle, ...
- La perception comme vérité précédant le jugement :
- la perception de l’artiste chez Bergson (Le Rire), la perception hallucinée selon Aldous Huxley (The Doors of Perception)
- La réfutation du concept de sensation, la prééminence de la perception, chez Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception.

- Conclusion du cours sur la perception

Cours de philosophie de l'année - II

Cours sur le langage : les mots cachent-ils les choses ?

- Introduction : problématisation.
- L’homme comme “animal doué de parole” chez Aristote in Politique avec son importance dans constitution de la communauté, de la sphère juridico-politique, etc.
- Définition du bavardage (chap. 35 de Etre et Temps de Heidegger) comme primat du parler sur le parlé, absence de connaissance de ce dont il est parlé.
- Explication des enjeux de la sophistique, rapport avec illusion, vérité, imitation...
- Le mot et sa “partialité” : le mot ne nomme pas le singulier, cf. Phénoménologie de l’Esprit. Le mot nomme l’universel, ébauche de connaissance. Force du langage pour Hegel. Antithèse avec Le Rire de Bergson : extrait commenté. Pour B. les mots ne sont que des étiquettes, conditionnent perception qui est elle-même anticipation de l’action, interprétation réductrice du réel. Nous vivons à cause du langage dans “zone mitoyenne entre les choses et nous”.
- Rapport du langage avec constitution du monde comme ensemble de choses (réel dans son étymologie), aménagement d’une distance entre l’homme et le monde. Rappel de l’efficience du langage dans constitution de la perception : exemple tiré d’une nouvelle de Borges - There are more things.
- Importance du langage dans savoirs primitifs, magie, shamanisme, etc. Cf. Cassirer in Langage et Mythe.
- Importance du langage dans constitution du savoir classique sous forme, par ex., des taxinomies de l’histoire naturelle comme grammaire généralisée (cf. M. Foucault, Les Mots et les Choses). Pb soulevé par Buffon (contre Linné) : comment traiter l’individu, exception au genre ?
- Grands pbs philosophiques sont le résultat d’un mésusage du langage : cf. Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus. Explication des enjeux de l’ouvrage, citations commentées.
- Le mot poétique comme déconceptualisation du mot usuel, le poème comme résistance à la pensée technique (Heidegger).
- Les origines du langage, le rapport entre le mot et l’idée : la position de l’antinomie avec le Cratyle, lecture détaillée du dialogue.
- Le rapport naturel du mot et de l’idée, langues du midi et du nord avec Rousseau, les passions et non les besoins comme origine du langage, etc. Cf. Essai sur l’origine des langues de Rousseau.
- L’arbitraire du signe : éléments de linguistique avec Saussure, Cours de linguistique générale. Parcours détaillé de l’ouvrage et de ses distinctions conceptuelles (signifiant/ signifié, langage/langue, langue/parole, ...). Et explication du sens de l’arbitraire du signe.

Conclusion du cours sur le langage.


Période du 8 novembre au 21 décembre

Cours sur autrui : Autrui n’est-il qu’un autre moi-même (un alter ego), la présence d’autrui nous évite-t-elle la solitude ?

- Introduction. Problématisation.
- Autrui et l’altérité : un enjeu de philosophie contemporaine. Leur relatif oubli par la philosophie “classique” au profit du questionnement homogénéisant sur la morale, la raison, etc. Exemple typique : statut de l’altérité d’autrui chez Descartes, Méditations métaphysiques, II - simple fruit d’un raisonnement par analogie.
- L’élargissement intersubjectif du cogito dans L’Existentialisme est un humanisme de Sartre.
- L’échange des regards : le regard pétrifiant, objectivant, autrui comme être-regard chez Sartre (L’Etre et le Néant, IV). La honte.
- Antithèse au regard par Merleau-Ponty, Le Visible et l’invisible. L’être au monde, la chair, autrui et moi comme tissés dans la même chair, autrui comme décentration du moi parce que partageant le même monde que le mien, pas juge m’écrasant dans poussière de mon monde.
- L’impossibilité de rompre notre solitude ontologique avec E. Levinas (Le Temps et l’autre, Totalité et Infini....). Même l’Eros est accusation de la dualité des êtres : reprise détaillée du Banquet de Platon, antithèse par Levinas.
- La mort : nous n’avons d’expérience de la mort que celle d’autrui. Cf. La Mort et le temps de Levinas. L’être-pour-la-mort de Heidegger, et sa nuance par Levinas.
- Autrui comme visage : définition détaillée de cette notion levinassienne non conceptuelle. Commentaire d’un texte de Levinas extrait de De l’Existence à l’existant.

Conclusion du cours sur autrui.

Cours sur le désir : désirer est-ce nécessairement souffrir ?

- Introduction, problématisation
- Pour une définition du désir :
- Les espèces du désir dans l’Anthropologie du point de vue pragmatique de Kant (distinguer notamment passion et émotion, etc.
- action-passion chez Descartes (Traité des Passions), les mécanismes du corps (esprits animaux, la glande pinéale...), discipliner ses passions
- Le désir comme souffrance :
- l’amour dans le Banquet de Platon
- retour aux passions comme “maladie de l’âme” chez Kant, relation avec la raison
- le désir comme manque et essence du réel chez Schopenhauer (commentaire de texte extrait de Le Monde comme volonté et comme représentation)
- le désir comme construction de valeurs :
- le conatus spinozien (rapport avec le bonheur, notamment)
- le désir comme agencement d’ensembles chez Deleuze dans Anti-Œdipe, Abécédaire, ...
- Au-delà du désir ? Schopenhauer et l’abolition du désir (voie bouddhique), mais accusation de nihilisme (Nietzsche)
Conclusion du cours sur le désir

Cours sur l’art : Peut-on discuter des goûts et des couleurs ?

- Introduction, problématisation
- Distinction art-autres domaines d’activité (Kant, Critique de la faculté de juger §43, §44)
- Approche du “génie”.
- L’inspiration dans histoire de la philosophie/histoire de l’art (Ion, Curiosités esthétiques, ...)
- l’œuvre d’art comme finalité sans fin
- explication de la possibilité d’une universalité subjective en matière de jugement de goût : désintéressement, sensu communis, ...
- Le beau comme symbole de la moralité : § 59 de la CFJ.
- L’œuvre d’art comme unification de l’être humain, jeu : à partir d’une lecture des Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme de Schiller (conciliation de l’instinct formel et de l’instinct matériel).
- L’œuvre d’art : imitation ou création ?
- question pas seulement philosophique mais aussi historique.
- la mimesis chez Platon (République) et chez Aristote (Poétique) : déficience ontologique ou construction de l’universel ?
- critique de la mimesis par Hegel (L’Esthétique) et par Baudelaire (Curiosités esthétiques)

- Quelques traits de l’art contemporain :
- quelques innovations esthétiques majeures (photographie cinéma, abstraction picturale, sérialisme, ...)
- l’art comme disparition de l’œuvre, ambiance esthétique (à partir d’une lecture de Y. Michaud, L’Art à l’état gazeux)

Conclusion du cours sur l’art