Ne pas oublier qu’une méthode est d’abord constituée par le mouvement propre du contenu de démonstration, elle n’est rien d’autre que ce contenu qui progresse logiquement. Aussi, les méthodologies, qui prétendent pointer ce qu’il faut écrire ou produire comme argument à telle ou telle ligne, à tel paragraphe, ne valent pas grand-chose et n’incitent qu’à oublier votre pensée au profit d’un moule impersonnel forcément réducteur. Le plan n’est pas surajouté à vos idées, il en provient. C’est à dessein que je ne tomberai pas dans les excès de la “recette-miracle”. Je me bornerai donc ici à quelques rappels formels. Je distinguerai quatre points généraux qui forment les minima d’un raisonnement cohérent, et laisserai de côté ce qui me paraît acquis.
-Analyser le sujet : ne pas se laisser déconcerter par la formulation du sujet, parfois abrupte ou étonnante. Trouver à quels thèmes de pensée, à quelles notions, le sujet renvoie. Mais respecter cette formulation : elle doit réapparaître dans l’intro., et non remplacée par un équivalent plus ou moins sûr. S’il y a deux notions dans le sujet (travailler rend-il heureux ? par ex. où travail et bonheur sont mis en jeu), ne jamais scinder le sujet, toujours le traiter dans son unité même si celle-ci passe par la conjonction ou le désaccord des deux notions en question. Pour trouver la problématique, analyser notamment la formule contradictoire du sujet (“le travail est-il une servitude” devient : “le travail libère-t-il”, etc.) tout en rapportant cette analyse du contradictoire au sujet lui-même. C’est dans le hiatus entre ces deux formulations que se déploie la problématique, partiellement. Cette problématisation se déploiera avec l’analyse précise des termes du sujet - examinez-en les multiples acceptions, quitte à n’en retenir qu’une faible proportion, et ce, dans l’intro. ou/et en début de développement. Ne faites jamais l’économie de cette analyse des termes : c’est souvent le défaut de cette analyse qui explique la faiblesse d’une argumentation, l’absence d’une troisième partie, etc. Veillez à ce que cette définition ne soit pas tautologique (A=A, du genre : le bonheur c’est être heureux), mais analytique, creusée... N’oubliez pas à cet effet les distinctions conceptuelles : souvent c’est par contraste avec un autre concept qu’un concept se définit au plus précis (ex. contingence/nécessité).
-Présenter le plan : en dissertation, ou en commentaire, cela ne signifie pas écrire: “premièrement”, “dans une première partie”, et autres formules de collégien. Privilégiez l’élégance: “Nous verrons ainsi”, etc. De même, n’entrez pas en contradiction avec vous-même dès cette partie liminaire, n’écrivez pas une chose et son contraire: “Nous verrons que nous pouvons renoncer à la liberté, puis nous verrons que nous ne pouvons pas renoncer à la liberté”... Ceci atteste simplement que la copie sera mauvaise puisque manquant d’une cohérence élémentaire, et manifestant que vous n’avez pas compris que thèse et antithèse ne sont pas la contradiction l’une de l’autre, mais les étapes d’un approfondissement progressif de votre pensée. Il est évident que ce plan devra être suivi dans le détail, ce qui suppose qu’il soit pleinement achevé sur le brouillon. Ne vous fiez pas à l’inspiration de dernière minute, qui ne conduit la plupart du temps qu’à un bavardage plus ou moins intelligible.
-Raisonner n’est pas réciter: Traiter un sujet signifie penser et raisonner à son propos. Par conséquent, le plan ne peut être énumératif (ensuite, après, etc.) car l’énumération se passe très - trop - bien du raisonnement et de la réflexion. Il faut chercher les connexions logiques, fussent-elles sous-entendues: de la sorte, or, donc, par conséquent, cependant, ... - qui donnent de l’élan à la pensée, et de la précision. Cet élan commande un cheminement du simple (l’opinion commune) à l’abstrait (le concept philosophique), cheminement qui est celui du plan dans son entier, que vous ayez choisi le commentaire ou la dissertation. Il faut, pour raisonner, et bâtir une démonstration, garder constamment le sujet en vue, en rappeler la formulation, pour le croiser et ne pas évoluer parallèlement à lui - ce qui aboutit tôt ou tard au hors-sujet, insensiblement. Croiser le sujet requiert de se refuser à réciter : disserter (voire commenter) est plus aisé quand on possède une certaine culture, mais cette dernière n’est pas la condition suffisante d’un raisonnement pertinent. Les auteurs ne doivent être invités qu’à illustrer votre pensée, ou à lui donner un coup d’envoi vers l’abstraction, ils ne doivent pas être cités pour la beauté de la citation ou de la référence, par apparat, mais par nécessité logique, ou pour préciser votre pensée. Trop d’élèves succombent à l’envie de cette récitation et ne rendent alors qu’une copie généralement trop longue, indigeste, sans plan et sans clarté de raisonnement, quand ils ne tombent pas hors du sujet, croyant pourtant avoir réussi. C’est votre capacité de raisonnement, de problématisation, et d’écriture, qui sera jugée. Résultat formel de ceci : l’exemple ou l’anecdote doivent être utilisés modérément, et ne pas vous servir à remplir la page, ils ne valent que dans le cours du raisonnement - On ne commence jamais un paragraphe par un auteur (Selon Hegel, ...) puisqu’il n’est cité que pour son utilité dans le raisonnement - Pas d’affirmation gratuite (l’homme est mauvais, etc.), mais des jugements nuancés succédant à la démonstration - Pas trop de paragraphes en une page (3 au maximum), mais il faut aérer le développement - Des transitions entre les parties (dix lignes environ) qui mettent au jour la nécessité de poursuivre le raisonnement - De la clarté : aussi bien dans la présentation du devoir que dans le raisonnement (sachez renoncer à certaines idées qui s’inséreraient mal dans le développement, pour préserver l’unité de ce dernier), et donc de la concision (aller à l’essentiel, ce qui n’est pas être elliptique). Il est bon que la rigueur du plan soit manifeste dans la rigueur et la clarté de la présentation de la copie. Soigner les alinéas y contribuera.
Conclure: la conclusion n’est pas un descriptif extérieur du développement, qui n’en rappellerait que les grands titres, mais la réinscription du contenu de votre démonstration dans une réponse directe au sujet, voire aux questions posées dans votre introduction. Elle peut être aussi l’exhibition de l’impensé qui a conduit la réflexion : comment on a été dirigé sur telle ou telle voie de réflexion. Pour le commentaire, il s’agit de rappeler l’intérêt philosophique du texte, et non d’imiter une conclusion de dissertation. Si vous y parvenez, trouvez un débouché à tout votre devoir, mais là n’est pas l’essentiel. Surtout veillez à ne pas poser en conclusion une question relevant de l’introduction. Soignez particulièrement cette conclusion, sa cohérence, sa progression par rapport à l’introduction : elle est ce par quoi, naturellement, le correcteur achève sa lecture et parachève son impression d’ensemble.
NB - Sur le commentaire :
Dans le commentaire, n'oubliez pas de citer le texte, ne faites pas une dissertation qui parlerait du texte en le citant parfois (voire pas du tout), le texte ne doit jamais devenir un prétexte à un développement qui ne le concerne pas de près : le commentaire ne sert qu'à expliquer le texte, c'est une évidence que peu d'élèves, étonnamment, prennent en compte. Pour ce faire, repérer les concepts centraux, et surtout définissez-les : le texte doit être clair à une dernière lecture, c'est-à-dire élucidé dans tous ses aspects problématiques, à commencer par ses termes spécifiques. Si, relisant le texte, vous ne lui trouvez pas cette clarté à la fin de votre commentaire c'est que celui-ci est raté. Un truc pour être dans le texte : commencez par le résumer avec vos propres mots, phrase après phrase, au brouillon. Ce simple résumé vous mettra le texte en tête et vous manifestera ses difficultés principales. N'oubliez pas que le commentaire, de même que la dissertation, demande une problématique, un ensemble coordonné de trois ou quatre questions auxquelles il faut répondre ; et, de même, une présentation de plan (trois parties si possible) : ne dites surtout pas que vous allez faire un commentaire linéaire, même si, dans les faits, il faut suivre à peu près l'ordre du texte mais selon des axes principaux, des concepts centraux, qu'il vous revient de mettre au jour et d'utiliser comme grille de lecture. La conclusion du commentaire devra, quant à elle, comme en dissertation, répondre aux questions posées en problématique, et donner l'intérêt philosophique du texte : quelle est son originalité sur le sujet traité, ce qu'il nous a appris de neuf philosophiquement, etc.
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